Comment expliquer le déclin de la télévision traditionnelle

Télévision

La nouvelle a frappé comme une tonne de briques: durant la première moitié de 2023, les activités courantes de TVA ont débouché sur un déficit de liquidités de 88 millions de dollars.

Pour payer les activités courantes, écrit le journaliste Francis Vailles, TVA a donc dû emprunter 91 millions $ à long terme auprès de Québecor Média, à la fin juin, une première dans l’histoire de TVA. C’est dire comment le monde des médias est confronté à une tempête sans précédent.

Pour la petite histoire, la première chaîne de télévision privée, Télé-Métropole (aujourd’hui TVA), est lancée en 1961 par Joseph-Alexandre DeSève, un homme d’affaires qui avait fait fortune dans les variétés, l’immobilier, la production et la distribution de films français dans les cinémas québecois.

Le succès de Cré Basile avec Olivier Guimond, que diffuse la télévision privée de Télé-Métropole à compter de 1965, force Radio-Canada à se préoccuper des cotes d’écoute comme le fait le canal 10 (Télé-Métropole) pour attirer les annonceurs. Il est vrai qu’à cette époque, les foyers canadiens regardaient la télévision pendant 40 heures par semaine! (1)

Mais c’était avant la multiplication à l’infini des chaînes dans les années 80, le développement d’internet dans les années 90, l’apparition du téléphone intelligent dans les années 2000 et le développement plus récent des plateformes de streaming comme YouTube, Disney+, Amazon Prime Video, Apple TV+ et bien sûr, Netflix.

« Autres temps, autres mœurs ! Les jeunes d’aujourd’hui jettent un coup d’œil distrait aux images qui défilent sur l’écran, parce qu’ils sont plus occupés à clavarder, répondre à leurs courriels ou à jouer sur leur console de jeux vidéo. La télévision n’est plus le centre d’intérêt des 10 à 20 ans (2) », affirme Jean-Paul Lafrance.

On comprend que la télévision change parce qu’elle est soumise à des révolutions technologiques (numérisation, arrivée de la télécommande, du magnétoscope numérique, d’internet, de la mobilité, du Blu-ray du HD et des appareils mobiles), économiques (création de sites comme YouTube et Netflix, fondée en 1997 et implantée au Canada depuis l’automne 2010 et de contenus (téléréalité, interactivité et réseaux sociaux).

En janvier 2010, confronté à cette nouvelle réalité, Radio-Canada lançait Tout.tv, première plateforme de diffusion web nord-américaine consacrée au contenu francophone. Vidéotron a fait de même avec le Club Illico. Enfin, les trois réseaux généralistes canadiens anglais – CBC, Global et CTV – ont choisi de mettre sur leurs sites la plus grande partie de leur programmation et Bell a lancé Crave TV.

« Autrefois uniquement consommable à l’aide d’un appareil téléviseur qui, bien souvent, était un meuble plutôt massif qui trônait dans les salons, la télévision peut désormais être diffusée sur une pléiade d’écrans fixes ou mobiles, de tailles variées, du téléphone intelligent à la télé à écran plat en haute définition, en passant par les tablettes numériques et les ordinateurs portables. » (3)

Sur ce plan, la télévision « en direct » est à bien des égards dans le même bateau que les quotidiens. Internet, les enregistreurs numériques, la télécommande et la vidéo-sur-demande (pay per view, en anglais) signifient que les consommateurs prennent moins souvent rendez-vous avec leur télédiffuseur à un moment précis.

Et comme les moyens technologiques changent, les habitudes d’écoute des téléspectateurs se transforment. De plus en plus de gens regardent les séries en rafales (binge racing ou binge watching, en anglais) ; de nouveaux contenus sont proposés comme la Web TV.

Évidemment, il serait utopique de penser que le zapping (changement de chaîne), le muting (mise en sourdine du son), le zipping (l’enregistreur numérique), la vidéo sur demande (par exemple, Netflix) et la multiplication des chaînes n’ont pas eu d’effet sur les cotes d’écoute et l’efficacité publicitaire de la télévision.

À cet égard, l’année 2013 a marqué un moment décisif en publicité. Pour la première fois, les investissements publicitaires numériques au pays ont été plus importants que ceux à la télévision, selon le Bureau de la publicité interactive du Canada.

Au même moment, le nombre d’abonnés au câble est entré dans une phase de décroissance aux États-Unis (-40% entre 2014 et 2023).

GFK (4), le quatrième institut d’études de marché et d’audit marketing du monde, confirme que le changement de comportement touche d’abord les plus jeunes, ceux qui sont nés avec le streaming. Il y a de fortes chances qu’ils deviennent une génération de « cord-never », la génération qui ne s’abonnera jamais à la TV par câble ou par satellite.

Quand on jette un coup d’œil sur le profil des téléspectateurs, spécialement durant le jour, force est de constater que certains segments de la population sont surreprésentés (personnes âgées avec des revenus inférieurs à la moyenne, gens moins scolarisés) et d’autres sous représentés (les jeunes, les gens plus scolarisés et les revenus supérieurs à la moyenne).

C’est ce qui faisait dire au magazine l’Actualité, en décembre 2006 (!), que la télévision était finie… du moins la télévision telle qu’on la connaît.

Personnellement, je préfère parler d’un lent déclin (qui pourrait s’accélérer!). Car, dans les faits, la télévision offre encore la portée la plus élevée de tous les médias au Québec selon VIVIDATA (été 2023, adultes 18+).

Anaïs Brasier rappelle que « la télévision ne se limite plus au téléviseur: l’écoute de contenu vidéo peut se dérouler sur plusieurs plateformes (5). »

En outre, « de tous les téléspectateurs du monde, les Québécois sont peut-être les plus passifs et les moins aventuriers! », écrit Guy Fournier, chroniqueur média au Journal de Montréal. (6)

« Leurs habitudes d’écoute changent à pas de tortue, ce qui n’est pas le cas chez les anglophones, rappelle Fournier. En trois ans, l’écoute de la télévision traditionnelle chez les anglophones a diminué de deux heures par semaine, alors que chez les Francos, elle n’a pratiquement pas bougé. (…) »

À cet égard, la télévision s’impose encore dans tous les domaines du divertissement et ce, même si elle est « le dernier maillon des médias qui est en train de passer dans la moulinette de la convergence numérique (7) ». La supériorité et le pouvoir de la télévision sont le résultat d’une multitude de caractéristiques uniques : son, image, mouvement, couleur, portée, temps passé à la regarder et plus grande attention aux publicités. Mais pour combien de temps?

(Note : Ce texte est extrait de l’Infolettre marketing de Luc Dupont, diffusée par courriel chaque semaine. Dans cette newsletter, Luc Dupont propose une revue complète des actualités en marketing, médias, communication et publicité. Le cas échéant, certains articles sont repris ici ultérieurement. Pour vous abonner)

 

Sources:

(1) Beauregard, Sylvain (1999), « 40 ans de médias », Info Presse Communications, hors série, avril, p. 61.

(2) Lafrance, Jean-Paul (2009), La télévision à l’ère d’Internet, Montréal, Septentrion, p. 10.

(3) Madé, Gabrielle (2012), La webtélé au Québec : le point de vue des télédiffuseurs, thèse de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa, p. 6.

(4) Lechevallier, Pascal (2016), « Le marché TV américain sous pression », ZDNet, août, http://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/le-marche-tv-americain-sous-pression-39840908.htm

(5) Brasier, Anaïs (2016), « Comment les Québécois consomment-ils la télé », Infopresse, 16 mai, http://www.infopresse.com/article/2016/5/16/la-television-quebecoise-vue-d-ensemble

(6) Fournier, Guy (2014), « Quel est le mystère de notre télévision », Journal de Québec, 6 mai, p. M4.

(7) Lafrance, Jean-Paul (2009), La télévision à l’ère d’Internet, Montréal, Septentrion, p. 35.