Comment le partenariat entre Nike et Michael Jordan a changé le marketing sportif pour toujours

Marketing sportif

En fin de semaine, j’ai vu pour vous le film Air, de Ben Affleck, qui raconte l’histoire du deal marketing entourant Nike et Michael Jordan. Un film à voir même si, à l’instar de Argo, Affleck prend quelques libertés avec l’histoire officielle afin d’injecter plus d’émotions dans son film.

Comme c’est souvent le cas en marketing et comme on le comprend tout au long de ce long métrage, cette entente historique entre Jordan et Nike est un mélange de chance, de timing et de persuasion.

Tout commence en 1982 avec Michael Jordan, un jeune joueur de basketball inscrit à l’Université de la Caroline du Nord. Jordan, un athlète d’exception, vient de remporter le titre universitaire de la NCAA dans une finale mémorable contre Georgetown et il cherche à associer son nom à divers produits, dont des chaussures de sport.

À l’époque, je le précise, l’industrie est dominée par trois joueurs clés: Converse (qui amorce un lent déclin), Adidas (dont le PDG est décédé quelques années auparavant) et Puma (fruit du conflit des deux frères à l’origine d’Adidas).

Ces marques avaient des contrats de commandite avec certains des meilleurs joueurs de basketball de la NBA. Converse, par exemple, comptait parmi ses porte-parole Larry Bird, Magic Johnson (signé en 1979), Isiah Thomas, Julius Erving, Bernard King et Kevin McHale.

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De son côté, Nike était une entreprise de chaussures de sport qui cherchait désespérément à conquérir une plus grande part de marché.

Mais surtout, bien qu’elle soit numéro 1 de la chaussure de sport aux États-Unis (un titre qui lui échappera pendant deux ans à la fin des années 80 au dépend de Reebok), Nike vient de connaître le premier trimestre de vente négatif de son histoire, ce qui l’obligera à vendre des millions de chaussures de sport pour la modique somme de 1$ la paire afin de se renflouer.

Nike avait déjà signé des contrats de commandite avec d’autres athlètes, pensons au tennisman John McEnroe ou aux joueurs de basketball Moses Malone et Bobby Jones, mais son responsable marketing Sonny Vaccaro cherchait quelqu’un qui avait le potentiel de devenir une véritable superstar.

C’est là que David Falk, un agent de joueurs qui représentait Michael Jordan entre en jeu. Falk avait travaillé avec Nike auparavant et il avait une relation solide avec l’entreprise de l’Oregon.

Mais il y avait un hic: Jordan ne voulait par rencontrer Nike. Il voulait plutôt s’entendre avec Adidas ou Converse, le commanditaire officiel de la NBA et de l’Université de la Caroline du Nord, dont l’entraîneur recevait 10 000 $ par an en échange de la commandite des souliers de sport de son université.

Finalement, grâce au travail de persuasion de maman Jordan et de Falk, Michael acceptera de rencontrer Nike. Lors de cette rencontra à laquelle assistait exceptionnellement les parents de Jordan, la futur star du basketball est accueilli par le président de Nike, le chef du marketing Sonny Vaccaro (incarné par Matt Damon dans le film Air) et le designer de Nike.

L’un des arguments clés de Nike lors de cette rencontre était que leur marque était différente de toutes les autres marques de chaussures de sport.

Pour asseoir cet argumentaire, Nike a présenté à Jordan des prototypes de chaussures de basketball (les éventuels Air Jordan) qui étaient en cours de développement et dont la caractéristique numéro un était la couleur: rouge et noir.

Nike a également mis en avant ses engagements envers l’innovation et la qualité, en affirmant qu’ils seraient en mesure de fournir à Jordan des chaussures de basketball qui répondraient à tous ses besoins.

Au final et contre toutes attentes, Jordan a été convaincu et a signé un contrat de commandite avec Nike, mais sans au préalable offrir une dernière fois à Adidas la chance d’égaler l’offre de Nike.

Dans ce qui est généralement considéré comme l’une des plus grandes erreurs de marketing de tous les temps (avec le lancement du Nouveau Coke ou la création de l’Edsel), Adidas a refusé d’égaler l’offre de Nike.

En 1984, le premier contrat de Jordan prévoyait la création d’une nouvelle marque de chaussures de basketball appelée Air Jordan. C’était un partenariat révolutionnaire à l’époque car contrairement aux stars du tennis qui le faisait depuis quelques années déjà, c’était la première fois qu’une entreprise de chaussures de sport signait un joueur de basketball pour une ligne de chaussures.

Le contrat de Jordan avec Nike comprenait aussi un paiement de 500 000 $ par an pendant cinq ans (Converse offrait 100 000 $ par an pour cinq ans), des actions de Nike (une exigence de la mère de Jordan) et une part des bénéfices de la vente des chaussures Air Jordan.

En échange et pour se protéger, Nike se réservait le droit d’annuler l’entente si Jordan ne gagnait pas le titre de recrue de l’année, ne faisait pas partie de l’équipe d’étoiles de la NBA et ne faisait pas au moins 20 points par match, en moyenne, durant la saison régulière.

Très rapidement, les chaussures Air Jordan sont un énorme succès commercial, générant 126 millions $ de revenus pour Nike la première année alors qu’on avait budgetté 3 millions $ de vente au mieux.

Comble de bonheur, la NBA interdira momentanément l’utilisation de chaussures de couleurs (le règlement stipulait que les espadrilles des joueurs devaient être de couleur blanche) et imposera une amende de 5000 $ par match à Jordan, une amende qui sera payée avec bonheur par Nike qui profitera de cette imprévue pour bâtir une campagne de publicité mémorable.

Avec le temps, les chaussures Air Jordan sont devenues l’une des marques les plus célèbres et les plus populaires de tous les temps (100 millions de pairs — au moins 10 milliards $ de vente au total depuis son lancement — jusqu’à 50% des ventes de Nike certaines années), et Jordan lui-même est devenu une véritable icône culturelle avec des ententes commerciales diverses: Coca-Cola, Chevrolet, McDonald’s et Gatorade.

Précisons d’ailleurs que Jordan a vendu huit fois plus de souliers de sport que LeBron James, un exploit remarquable!

La marque Air Jordan est aujourd’hui l’une des marques de chaussures de sport les plus populaires au monde. Depuis, ce type d’entente a été imité par de nombreux autres joueurs de basketball qui ont signé des contrats de parrainage avec Nike et ont eu leur propre ligne de chaussures signature.

Mais c’est la relation entre Michael Jordan et Nike qui a établi le modèle (la référence) pour ces contrats de parrainage et a changé la façon dont les entreprises de chaussures de sport approchent les athlètes professionnels. Pour la première fois, un porte parole devient une marque. On parle aussi d’une entente qui a contribué à définir Nike qui est devenue depuis le joueur numéro 1 de l’industrie avec environ 50% du marché en Amérique du nord.

En terminant, je précise que Nike avait fait une offre similaire à Magic Johnson quelques temps auparavant mais que ce dernier l’avait refusée. La série d’HBO sur l’histoire de la dynastie des Lakers, Winning Time: The Rise of the Lakers Dynasty, estime que Johnson est passé à côté de 5,2 milliards $ en refusant l’offre de Nike.