De la difficulté d’évaluer la performance des chefs lors des débats

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Campagnes après campagnes, les médias (et le public) cherchent à qualifier la performance des chefs durant les débats. C’est particulièrement vrai dans le cas d’une campagne comportant quatre débats des chefs comme celle que l’on connaît actuellement au Québec.

Si vous êtes comme moi, vous êtes parfois amusé de prendre connaissance des commentaires de certains journalistes, chroniqueurs, animateurs et professeurs ; des commentaires qui vont quelques fois dans toutes les directions. Mais des commentaires qui révèlent aussi des biais.


Évidemment, évaluer la performance de chacun des chefs après un débat est un exercise particulièrement périlleux, je le reconnais.

D’abord, parce que ceux qui suivent l’actualité politique sur une base régulière ont une opinion très arrêtée sur chacun des chefs et des partis (les journalistes qui disent le contraire sont des menteurs).

Ensuite, parce qu’il est difficile de s’improviser observateur neutre, i.e. se mettre dans la peau d’un électeur indécis (ce que le journaliste ou le commentateur boulimique de politique n’est pas).

« Une des pires choses qui puisse arriver à un journaliste-analyste consiste à tomber en amour (dans le sens professionnel du mot) avec un chef politique ou, à l’inverse, à le voir comme une bête noire. », écrit ce matin la journaliste Chantal Hébert dans son blogue.

« Quand on n’est plus capable de percevoir les leaders que l’on couvre comme les électeurs plus détachés qui déterminent l’issue des scrutins les perçoivent, ajoute Madame Hébert, on est bien en peine de voir venir la suite des choses. »

Pour employer le jargon universitaire, celui qui évalue la performance d’un chef durant une campagne fait face à ce que les psychologues appellent les biais de perception. Voici quelques exemples de biais dans la présente campagne électorale :

Biais culturel — biais lié au fait d’appartenir à un type de culture donné. Il suffit de se pencher sur le vote des Francophones, des Anglophones ou des Allophones pour constater que nous comprenons la campagne électorale en fonction de notre culture.

Biais linguistique — biais lié aux caractéristiques linguistiques et donc au profil culturel de ceux qui parlent une langue. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur la couverture journalistique des médias anglophones et francophones lors d’une campagne électorale (ou de l’interprétation que les médias anglophones et francophones font de la présence canadienne en Afghanistan pour prendre un exemple qui a fait l’objet d’une thèse de maîtrise au département de communication de l’Université d’Ottawa).

Conformisme — biais qui nous porte à imiter la majorité. On l’appelle aussi l’effet bandwagon, en opposition à l’effet boomerang. Un exemple : l’impact des sondages sur l’opinion public : vague péquiste ou caquiste ? Retour en force des Libéraux ? Personnellement, je crois que c’est suite à la publication de certains sondages que l’on doit une partie de l’effet Layton au Québec (et à un passage fort réussi à l’émission de télévision Tout le monde en parle faut-t-il l’ajouter).

Biais de confirmation d’hypothèse — biais qui consiste à préférer les éléments qui confirment plutôt que ceux qui infirment nos croyances politiques. Dans ce contexte, chaque événement de la campagne électorale est jugé en fonction des protagonistes et des partis en cause. Ainsi, notre compréhension des événements change selon le chef ou le parti. Ultimement, une déclaration ou un événement ne sera pas compris de la même manière selon son origine politique.

Biais de disponibilité — désigne cette mauvaise habitude que nous avons et qui consiste à nous concentrer sur les informations que qui sont immédiatement disponibles ; les informations qui confirment notre opinion sur un chef ou un parti politique.

Cadrage — décrit avec talent par l’École de Palo Alto, ce biais est conditionnel à la façon de présenter une situation : annonce, promesse, déclaration, contexte, etc. 

Le recadrage permet de modifier la signification de la situation. Il permet d’obtenir un autre éclairage ou un autre relief. Le recadrage pour une personne est la redéfinition du sens d’une situation ou d’un contexte dans lequel elle se trouve impliquée.
Dissonance cognitive — très utilisée à des fins de manipulations en publicité et en persuasion politiques. Ce biais consiste à tenter de rétablir notre équilibre psychologique lorsque nous sommes exposés à des informations susceptibles de nous mettre en état de déséquilibre ou de dissonance

C’est le cas, entre autres, chaque fois qu’un scandale éclabousse le parti pour lequel nous comptons voter. Pour rétablir notre équilibre, nous nions avec véhémence et dénonçons la personne à l’origine de ce déséquilibre passager. En d’autres mots, nous cherchons à refaire l’équilibre dans notre tête.


Illusion des séries — désigne cette vilaine habitude qui nous amène à lier entre elles des informations qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.

Attention sélective — ce biais nous amène à accorder de manière sélective notre attention en fonction de nos intentions de vote, par exemple, se souvenir que Madame David portait le carré rouge parce qu’on appuyait fortement (ou qu’on était fortement contre) la cause des étudiants durant le conflit étudiant lié à la hausse des frais de scolarités ; ou s’exposer à un médias X parce qu’on sait intuitivement qu’il est plus sensible à notre cause.  

Perception sélective — ce biais nous amène à interpréter de manière sélective des informations en fonction de nos intentions de vote, par exemple, estimer que Monsieur Charest était agressif lors de son débat de lundi soir avec Madame Marois parce que vous voterez Parti québécois tandis que votre voisin, un Libéral, pense plutôt que Monsieur Charest était vigoureux.

Effet de primauté — ce biais décrit la tendance innée que nous avons à mieux nous souvenir des premiers éléments d’une liste mémorisée. Dans le cas d’un profil de personnalité, les premiers éléments de la liste auront toujours pour effet de colorer la perception de la personne décrite. Idem pour un CV. 

Ce biais confirme l’adage : « on n’a pas deux fois la chance de faire une bonne première impression ». Il confirme aussi l’importance de débuter avec force le débat. Selon le cas, on désigne ce biais en utilisant le vocable ancrage mental.


Effet de récence — plusieurs études en communication menées par Hovland confirment que dans le cas de discours politiques de plus longues durées, nous avons tendance à mieux nous souvenir des dernières informations avec lesquelles nous sommes mis en contact, d’où l’importance de terminer avec force un débat des chefs.

Biais de statu quo — comme on le sait en psychologie, la nouveauté est vue comme apportant plus de risques que d’avantages. Ce phénomène joue un rôle clé dans la décision de voter pour la continuité ou le changement, deux thèmes qui font l’objet de la présente campagne. C’est bien sûr le défi rencontré par un nouveau parti lorsqu’il tente pour la première fois de se tailler une place dans le cœur de l’électoral.

Effet de halo — une caractéristique positive chez une personne rend positifs ses autres traits. Cela explique pourquoi les partis recherchent des candidats vedettes fortement associés à des valeurs (Monsieur Duchesneau=lutte à la corruption) ou à un fort capital de sympathie dans l’électorat. Mais cet effet peut parfois être de courte durée.

Dans les faits et sans surprise, ces biais nous amènent à poser des jugements biaisés sur les politiciens, les partis politiques et les programmes électoraux.

Ceci dit, une fois que nous devenons conscients de ces biais, nous pouvons mieux comprendre notre façon de penser et de percevoirla réalité, donc mieux évaluer la performance respective des chefs et des partis.

Par ailleurs, ces biais confirment l’importance des spin doctors, ces conseillers en communication et marketing politiques qui agissent pour le compte d’une parti politique et tentent d’influer sur l’opinion des électeurs et de jouer sur notre jugement…


* Non, l’image illustrant ce billet ne bouge pas 😉