Sur le rôle du prix en marketing

Marketing

Dans le monde du marketing, le prix joue un rôle central. À cet égard, Sylvain Charlebois, professeur titulaire à l’Université Dalhousie à Halifax, en Nouvelle-Écosse, rendait public il y a quelques jours le résultat d’une étude très intéressante sur la perception de la variable prix dans le monde de l’alimentation.

Essentiellement, on découvre que lorsqu’on parle de bas prix dans le secteur de l’alimentation, les Canadiens mentionnent dans l’ordre les bannières du groupe Loblaw (Maxi, Atlantic Superstore, Real Canadian Superstore et No Frills), Walmart, Costco, Metro (Super C et Food Basics) et Tigre Géant.

Curieusement, Sobeys, un joueur majeur dans le secteur de l’alimentation, n’apparaît pas dans ce top 5.

Pour les bannières du secteur de l’alimentation, on le devine bien, la stratégie prix revêt donc une importance particulière. Celle-ci doit non seulement refléter la valeur, l’image et le positionnement des produits, mais aussi s’aligner avec les attentes des consommateurs dans un marché hautement compétitif et en constante évolution.

Ainsi, quand le prix de la margarine a bondi de 31 % en 2022 et celui des spaghettis de 23 %, «les Québécois ont adopté une série de nouveaux comportements. Ils ont opté pour des supermarchés à bas prix, diminué les desserts et les fruits de mer, accru leurs achats de marques maison et fréquenté davantage les Dollarama», écrit Marie-Ève Fournier dans La Presse.

En octobre 2022, conscient de l’impact de l’inflation sur les consommateurs, Loblaw, qui gère les enseignes Maxi et Provigo, a décidé de geler les prix de ses 1500 produits de marque Sans nom jusqu’à la fin janvier 2023, au Canada. C’était une première pour l’entreprise qui compte 200 épiceries au Québec.

Dans cette optique, quelles sont les stratégies de prix les plus couramment utilisées dans le monde du marketing? En voici six:

 

1. Le bas prix

Une première stratégie de prix consiste à occuper la case prix modique—à ne pas confondre avec le positionnement «marque maison», «marques privées» ou «marque sans nom».

La chaîne Walmart est un bon exemple de produit gagnant qui occupe la position «prix modique».

Fondée par Sam Walton, la chaîne américaine compte 10 586 magasins et divers sites de commerce électronique sous 46 bannières dans 19 pays.

Dans le domaine sportif, Decathlon est l’endroit idéal pour magasiner de l’équipement sportif abordable—au-delà de 65 sports!

De son côté, Winners offre des vêtements de grandes marques à petit prix.

Les cosmétiques Maybelline, les vêtements H&M, WestJet et la crème à raser Barbasol exploitent aussi la position du bas prix avec beaucoup de succès.

 

2. Les magasins à prix unique ou magasins populaires

Successeurs des 5-10-15 d’antan, la bannière Dollarama est le roi des articles vendus à 1 $, puis à 2 $ (2009), 3 $ (2015), 4 $ (2016) et 5 $ (2021).

Lancé en 1992, le magasin Dollarama est devenu un incontournable pour de nombreux Québécois, même si la chaîne a monté ses prix récemment. La chaîne vise 2000 magasins d’ici 2030.

Selon Jacques Nantel, professeur titulaire à HEC Montréal, «les magasins de bas prix ne sont pas près de disparaître. Ces magasins sont nés au cours de la récession du début des années 90 et ils répondent à un besoin[1]».

Fondée en 1961 au Marché By d’Ottawa, Tigre Géant est une entreprise privée, comptant plus de 270 magasins au Canada et procurant des emplois à environ 10 000 membres.

 

3. Le positionnement «club» ou magasin-entrepôt

Lors de sa fondation en 1970 par Sol et Robert Price, le Club Price devient le tout premier entrepôt-club privé en Amérique du Nord fonctionnant selon le principe «payez et emportez».

En 1983, Jim Sinegal (un ancien employé de Club Price) fonde avec Jeff Brotman un concept similaire, Costco Wholesale. Ensemble, ils ouvrent un premier club-entrepôt à Seattle en 1983.

En 1993,  Club Price fusionne avec Costco. Aujourd’hui, 43 millions de personnes détiennent une carte de membre Costco et arpentent les 861 entrepôts de la firme à travers le monde dans ce que le Wall Street Journal appelle “la stratégie de vente psychologique dite de la chasse au trésor.”

Club Jouet est un autre exemple de magasin-entrepôt unique dans lequel vous trouvez tous vos jouets favoris : Lego, Playmobil, Fisher Price, Mega Bloks, Tonka, jeux de société, etc.

 

4. La marque privée ou marque maison

Comme plusieurs phénomènes de marketing, le concept de marque générique est apparu d’abord aux États-Unis. Au Québec, Dominion et Steinberg initient le mouvement à la fin des années 50.

À partir des années 80, les marques génériques connaissent un boom extraordinaire, sous l’impulsion de la marque Le Choix du Président, de Loblaw. Bien sûr, la chaîne Steinberg le faisait avant elle, mais pour la première fois, l’expression «marque générique» ne signifiera plus simplement «bas prix».

Loblaw va créer des marques qui ont un nom et une personnalité, pensons aux fameux biscuits aux pépites de chocolat. Les emballages sont améliorés. Les produits sont de qualité égale ou supérieure, mais toujours moins chère.

Depuis, Walmart a lancé sa propre marque maison appelée Equate. Costco a aussi sa marque maison avec Kirkland.

Jacques Nantel[2], professeur aux HEC Montréal, a découvert que plus les consommateurs sont instruits, plus ils se détournent des grandes marques pour acheter des produits sans nom et à moindre prix. Mais c’était avant la période inflationniste de 2022 à nos jours.

Comme l’écrit Nathaëlle Morissette, journaliste à La Presse:

«Depuis le début de l’année 2022, les grandes enseignes ont toutes noté une hausse de la popularité des produits de marques privées, vendus à meilleur prix. Dans le cas de Loblaw, une vaste campagne a été lancée cet automne pour faire la promotion des produits Sans nom et Choix du Président.»

 

5. Le prix élevé

Curieusement, le prix le plus bas n’est pas toujours l’argument clé en marketing.

Dans les faits, de nombreux produits misent sur un prix élevé pour attirer le consommateur et jouer la carte du prestige et du statut social supérieur (ne jamais sous-estimer la vanité des gens): Mercedes-Benz, Gucci, Rolex, Beefeater, Tommy Hilfiger, Versace, Montblanc et Häagen-Dazs.

Le positionnement fondé sur le prix élevé s’ouvre à tous les genres de produits, spécialement ceux que nous consommons en public comme le parfum, la bière, les montres, les vêtements et les automobiles.

Lors d’une recherche effectuée pour le compte de l’Institut de recherche Stanford, Douglas McConnell a donné à des gens une même marque de bière dans trois contenants aux prix différents.

Il leur a fait goûter chacune d’elles et leur a ensuite demandé de choisir celle qu’ils préféraient. McConnell[3] a constaté que la bière contenue dans la bouteille la plus coûteuse remportait généralement la palme.

À l’occasion d’une autre étude, Robert Andrews et Enzo R. Valenzi[4] ont offert de la margarine et du beurre, à l’apparence identique, dans des contenants à prix variables.

Après la dégustation, les chercheurs invitèrent les gens à classer le beurre et la margarine par ordre de préférence. Une fois de plus, la margarine et le beurre contenus dans les emballages les plus chers ont été déclarés les meilleurs.

Plusieurs autres études ont montré que les gens associent généralement prix élevé et qualité supérieure, que ce soit dans le domaine de l’alimentation, de la restauration, du vêtement ou de l’automobile. Citons entre autres les recherches d’Harold Levitt[5], de Tibor Scitovszky[6], James E. Stafford[7] et Ben Enis, de Donald Tull[8], R. A. Boring et M. H. Gonsior.

À cet égard, posséder une marque forte constitue un avantage concurrentiel puissant. Généralement, cette position est fortement rattachée au passé, à la tradition et au prix de votre produit. Le conglomérat LVMH a construit un géant du produit de luxe à l’aide de cette stratégie.

À l’image des grandes marques du luxe, Apple joue aussi le prix élevé, ce qui lui permet d’afficher les plus belles marges de son secteur, 42,5 % de marge brute, soit dix fois celle de Hewlett-Packard. Comme quoi le prix élevé est une stratégie payante pour qui sait l’utiliser efficacement.

 

6. Le prix dynamique

Le concept de tarification dynamique (également connu sous le nom de surge pricing ou de dynamic pricing) signifie que l’entreprise met à jour ses prix en temps réel en fonction de la demande.

Ultimement, la stratégie vise à optimiser le flux client et à gérer efficacement la demande des produits ou services. C’est une stratégie courante dans l’industrie du transport aérien, l’hôtellerie, le sport professionnel (le coût du billet en MLS lors d’une visite de Messi) et le secteur du covoiturage (Uber).

Dans ce qui aurait probablement été une première dans l’industrie de la restauration rapide, Wendy’s a aussi réfléchi récemment à la possibilité de vendre ses produits avec un système de tarification dynamique à partir de 2025.

Selon l’idée initiale, Wendy’s aurait mis à jour ses prix en temps réel en fonction de la demande. Par exemple, le prix aurait été plus élevé à l’heure du lunch et du souper pour ensuite diminuer en soirée.

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Le concept de tarification dynamique (surge pricing, en anglais) signifie que Wendy’s voulait mettre à jour ses prix en temps réel en fonction de la demande.

L’idée du prix dynamique n’est pas complètement nouvelle dans le secteur de l’alimentation. Au Japon, Coca-Cola teste actuellement un distributeur qui ajuste ses prix en fonction de la demande ambiante et de la température. Aux États-Unis, une première expérience en ce sens a été faite en 1999. L’idée fut abandonnée puis reprise pour faire un coup de pub, en diminuant le prix quand il faisait chaud.

Par ailleurs, vous aurez sans doute remarqué que les forfaits Disney varient en fonction de l’achalandage et de la température. Idem pour les piscines, les bains-tourbillon et les souffleuses. Une histoire à suivre, donc…

(Note : Ce texte est extrait de l’Infolettre marketing de Luc Dupont, diffusée par courriel chaque semaine. Dans cette newsletter, Luc Dupont propose une revue complète des actualités en marketing, médias, communication et publicité. Le cas échéant, certains articles sont repris ici ultérieurement. Pour vous abonner)

Sources

[1] Plouffe, Éric (2000), « Après le Québec, Dollarama veut conquérir l’Ontario », La Presse, 8 août, p. C1.

[2] Nantel, Jacques (1995), « Unmarketing du 21ième siècle pour un consommateur du 21e siècle », The Canadian Business Report, n° 14.

[3] McConnell, Douglas (1968), « The Price-Quality Relationship in an Experimental Settings », Journal of Marketing Research, vol. 5, n° 3, août, p. 300-303.

[4] Andrews, Robert et Enzo R. Valenzi (1970), « The Relationship Between Price and Blind-Rated Quality for Margarines and Butters », Journal of Marketing Research, vol. 7, n° 3, août, p. 393-395.

[5] Levitt, Harold J. (1954), « A Note on Some Experimental Findings About the Meaning of Price », The Journal of Business, vol. 27, n° 3, juillet, p. 205-210.

[6] Scitovszky, Tibor (1945), « Some Consequences of the Habit of Judging Quality by Price », The Review of Economic Studies, vol. 12, été, p. 100-105.

[7] Stafford, James E. et Ben Enis (1969), « The Price-Quality Relationship: an Extension », Journal of Marketing Research, vol. 6, n° 4, novembre, p. 456-458.

[8] Tull, Donald, R. A. Boring et M. H. Gonsior (1964), « A Note on the Relationship of Price and Imputed Quality », The Journal of Business, vol. 37, n° 2, avril, p. 186-191.